Quand Anthony Swofford ( Jake Gyllenhaal ) entend les mots « Bienvenue dans le caniveau » à son arrivée chez les Marines, il sait déjà qu'il a probablement fait une grosse erreur. Son entraînement est une succession d'humiliations et d'insultes, principalement de la part de ses instructeurs. Même simuler la maladie ne l'empêche pas d'être affecté à une section de tireurs d'élite. Là, il rencontre enfin le caporal Alan Troy ( Peter Sarsgaard ), qui devient une sorte d'ami, et les deux hommes sont finalement associés par leur instructeur, le sergent Sykes ( Jamie Foxx ). Le déploiement qu'ils attendent avec tant d'impatience ne tarde pas à venir, car lorsque l'Irak envahit le Koweït, l'armée américaine envoie immédiatement plusieurs troupes dans le pays. Au lieu de participer aux combats, les soldats sont contraints de patienter, de subir les mêmes entraînements incessants et de garder principalement les champs pétrolifères du pays.

Lorsqu'Antony Swofford s'est engagé dans l'armée en 1990, il est devenu l'un des nombreux soldats à combattre le régime du chef militaire de l'époque, Saddam Hussein, lors de l'opération Tempête du désert. Dans *Jarhead * (terme argotique désignant un Marine américain), il a relaté ses expériences au Koweït et en Irak. Le livre a été salué par la critique pour sa description d'un « rite de passage » que les soldats, en particulier, doivent traverser. Mais sous la plume du scénariste William Broyles Jr. et le regard du réalisateur Sam Mendes ( *Les Sentiers de la perdition *, * American Beauty *), il est devenu une métaphore politique de la situation aux États-Unis au début des années 2000. Porté par la voix off de Swofford, interprété par Jake Gyllenhaal, le film nous plonge dans le parcours du jeune homme, guidé par une affirmation formulée dès le début : un soldat, quoi qu’il fasse par la suite, n’oublie jamais la sensation de porter une arme. Dès son entraînement de base – une séquence qui rappelle à bien des égards Full Metal Jacket de Stanley Kubrick – Swofford, comme ses camarades, est endoctriné à une loyauté et une obéissance inconditionnelles, notamment par le biais de punitions sévères, d’exercices incessants et d’humiliations. Broyles et Mendes ont adopté cette interprétation du récit comme une histoire centrée sur un rituel, montrant comment le protagoniste devient précisément le type de soldat que ses instructeurs attendent. La différence avec d’autres films antimilitaristes réside cependant dans le fait que l’absurdité et le caractère bizarre de ce comportement deviennent plus qu’évidents lorsque les hommes partent au combat.

Les images du directeur de la photographie Roger Deakins  capturent cette désolation du désert, qui devient une métaphore de la situation des soldats. Ce postulat initial prend progressivement des allures de scénario absurde où les personnages, tels les héros d'une pièce de Samuel Beckett , attendent l'arrivée de quelque chose qui ne viendra jamais. Lorsque cet événement survient enfin dans le dernier acte du film, le spectateur est aussi choqué par la brutalité que certains des hommes. Jake Gyllenhaal est en quelque sorte la réincarnation du héros typique du cinéma de Mendes. À juste titre, au début du film, il lit dans * L'Étranger* d' Albert Camus l'histoire d'un homme dont le reflet le fixera bientôt, car lui aussi subit ce processus de déshumanisation et de détachement qui l'aliène et le pousse à commettre des actes terribles. Le film comme le roman s'accordent à considérer l'histoire de Swofford comme un récit emblématique de ce qu'ont vécu de nombreux jeunes confrontés à une situation similaire. Dès lors, lorsque le seul but est de tirer une dernière fois, même en l'air, les questions sur le sens de la guerre se muent en interrogations existentielles.